• Lettre à Personne

      posted in Cinéma by Marshall Banana on 10 décembre 2007

      Tiens je viens de revoir Mon Nom est Personne (le plus grand western de tous les temps, à voir et à revoir), et j’ai une fois de plus frissonné à l’écoute de cette fabuleuse lettre déclamée par Henry Fonda (as Jack Beauregard) à Terence Hill (as Personne). Me suis dit, c’est tellement chouette, pourquoi ne pas la retranscrire ? J’avoue que c’est moins prenant sans la voix de Jack et la musique d’Ennio, mais quand même ça a de la gueule…

      Cher Personne,

      Mourir n’est pas la pire des choses qui puisse arriver à un homme. Tu vois, je suis mort depuis 3 jours, et depuis 3 jours j’ai enfin trouvé la paix. Tu m’as souvent dit que ma vie ne tenait qu’à un fil, mais désormais c’est la tienne qui ne tient qu’à un fil. Et ils sont nombreux ceux qui veulent te le trancher, ce fil. Mais tu aimes le risque, c’est ta façon de te sentir vivant. Et c’est ça la différence entre nous. Moi, quand je voyais venir une sale affaire, j’essayais de l’éviter. Pas toi. Si tu n’as pas une sale affaire à te mettre sous la dent, tu t’en inventes une, et après l’avoir liquidé, tu en abandonnes le mérite à un autre. Comme ça tu peux continuer à être toi même, c’est à dire Personne. C’est astucieux

      Mais cette fois tu as joué gros, et ça en fait déjà quelques uns qui savent que tu es quelqu’un. Tu finiras donc par te faire un nom toi aussi et alors là, tu auras de moins en moins de temps pour jouer. Et ce sera de plus en plus dur. Et un jour tu rencontreras un homme qui se sera mis dans la tête de te faire entrer dans l’Histoire. A ce stade pour redevenir personne, il n’y a qu’un moyen : mourir. Dorénavant tu devras chausser mes éperons et ce ne sera pas toujours drôle. Essaye pourtant de retrouver un peu de ces rêves qui nous habitaient, nous autres de l’ancienne génération, même si tu t’en moques avec ta fantaisie habituelle : nous t’en serons reconnaissants. Au fond, on était des sentimentaux. En ce temps l’Ouest était désert, immense, sans frontière. On croyait tout résoudre face à face d’un coup de revolver, on y rencontrait jamais deux fois la même personne. Et puis, tu es arrivé, et il est devenu petit, grouillant, encombré de gens qui ne peuvent plus s’éviter.

      Et si tu peux encore te promener en attrapant des mouches, c’est parce qu’il y a eu des hommes comme moi, des hommes qui finissent dans les livres d’histoire, pour inspirer ceux qui ont besoin de croire en quelque chose, comme tu dis. Dépêche toi de t’amuser, parce que ça ne durera plus bien longtemps. Le pays s’est développé, il a changé : je ne le reconnais plus. Je m’y sens déjà étranger. Le pire, c’est que même la violence a changé. Elle s’est organisée : un coup de revolver ne suffit plus. Mais tu le sais déjà, car c’est ton siècle, ce n’est plus le mien.

      A propos, j’ai trouvé la morale de la fable que ton grand père racontait, celle du petit oiseau que la vache avait recouvert de merde pour le tenir au chaud, et que le coyote a sorti et croqué. C’est la morale des temps nouveaux : ceux qui te mettent dans la merde ne le font pas toujours pour ton malheur, et ceux qui t’en sortent le font pas toujours pour ton bonheur. Mais surtout ceci : quand tu es dans la merde, tais toi !

      C’est pour ça qu’un type comme moi doit disparaître. Ton idée d’un duel truqué était bien la marque de ces temps nouveaux : c’était le moyen le plus élégant de me faire quitter l’Ouest. D’ailleurs je suis fatigué, car il n’est pas vrai que les années produisent des sages, elles ne produisent que des vieillards. Il est vrai qu’on peut aussi être comme toi, jeune en nombre d’années et vieux en nombre d’heures. Oui, je débite des phrases pompeuses, mais c’est ta faute : comment parler autrement quand on est devenu un monument historique… Je te souhaite de rencontrer un de ces êtres que l’on ne rencontre jamais, ou presque jamais : ainsi vous pourrez faire un bout de chemin ensemble. Pour moi, il est difficile que le miracle se reproduise. La distance rend l’amitié plus chère et l’absence la rend plus douce, mais depuis 3 jours que je ne t’ai pas vu, tu commences à me manquer.

      Bon à présent je dois te quitter. Et bien que tu sois le roi des fumistes et le prince des emmerdeurs, merci pour tout. Ah j‘oubliais : quand tu vas chez le barbier, assure toi que, sous son tablier, il y ait toujours un homme du métier.

      Jack Beauregard

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